Aire d’accueil du pont de Cheviré à Nantes, sous le périphérique, entre le centre de nettoyage des camions poubelles et les docks — © Google Earth

Des aires d’accueil inadaptées

Aire d’accueil du pont de Cheviré à Nantes, sous le périphérique, entre le centre de nettoyage des camions poubelles et les docks — © Google Earth

« Si tu ne trouves pas l’aire d’accueil, cherche la déchetterie »

Beaucoup d’aires d’accueil portent bien mal leur nom. La majorité d’entre elles sont situées très loin de la ville, souvent à côté d’une voie rapide, d’usines, de centrale électrique, de déchetterie ou encore de cimetière.

C’est le cas par exemple de l’aire d’accueil de Lubrizol près de Rouen, entourée de 3 usines… Notons que les habitants n’ont pas été évacués suite à l’incendie de l’usine de produits toxiques, ni relogés à ce jour.

Vivre loin de tout, sur un parking, avec peu de zones d’ombre, sur des terrains souvent pollués bruyants ou insalubres… Les aires d’accueil ne font pas rêver les voyageurs. C’est pourtant une des seules solutions légales pour pouvoir vivre dans sa caravane.

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Mon voisin Lubrizol — © Streetpress.com

Les aires d’accueil sont situées dans des zones dont personne ne veut…

Plus de 80 % des aires d’accueil sont isolées et plus de la moitié sont polluées, c’est le constat édifiant qu’a réalisé William Acker, président de l’ANGVC, juriste et voyageur, lors de son recensement national des aires d’accueil.

L’aire de la Baule-Escoublac (44) par exemple cumule « les avantages » : à 9 km du centre ville, dans une zone industrielle, à côté d’une station d’épuration. Celle du Pont de Cheviré à Nantes n’est pas mal non plus : dans une zone industrielle, à proximité d’une 4 voies, de voies ferrées, d’usines dont certaines classées en risque SEVESO. Juste derrière ce terrain, se trouve le centre de nettoyage des camions poubelles, de quoi faire rêver surtout quand on n’a pas d’autre choix.

Ce recensement, mis en image, permet à tous de réaliser à quel point les aires d’accueil sont reléguées à l’écart des villes, tels des parias. Ça donne également une bonne notion de la considération des pouvoirs publics face aux gens du voyage.

Ci-dessous : “Aire d’accueil de Freneuse, isolée du reste de la ville, entre une usine de béton, une déchèterie et un cimetière. Tranquillité relative.”

« L’accueil des gens du voyage » dans les Yvelines (78) — William Acker — © Visionscarto.net

Elles exposent les familles à des risques environnementaux mettant leur santé en danger

De nombreuses aires sont situées à côté d’usines polluantes, ce qui entraîne de nombreux problèmes de santé, notamment pulmonaires. Selon une enquête de l’Agence de l’Union européenne, en France, 31% des gens du voyage ont signalé des problèmes environnementaux dans leur lieu de résidence, tels que la pollution, la suie, la fumée, la poussière, les nuisances olfactives ou les eaux polluées. Ce taux est deux fois supérieur à celui observé dans la population générale, qui est de 15%. Leur emplacement excentré rend également difficile l’accès aux médecins urgentistes, aux pompiers et à l’accès au soin en général.

Selon, Santé Publique France, l’espérance de vie des voyageurs est de 15 ans inférieure à la moyenne de la population.

L’entretien du réseau électrique et du tout à l’égout est aussi un problème majeur : quand il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus de chauffage dans les douches où les champignons prolifèrent lorsque ce n’est pas chauffé. Quand le tout à l’égout est bouché, il n’y a plus de wc et les microbes se démultiplient… En pleine pandémie de COVID, les microbes et la promiscuité ont propagé l’épidémie, condamnant les familles.

Elles ne se sont pas adaptées aux personnes à mobilité réduite ni au vieillissement de la population

Les aires d’accueil n’ont pas évolué, elles sont toujours conçues comme des zones de passage, pas comme des lieux de vie. Pourtant, comme dans le reste de la population, les voyageurs sont malades, ont un handicap ou tout simplement vieillissent… Les espaces communs et les sanitaires des aires d’accueil ne sont souvent pas aux normes, mais là n’est pas le souci majeur.

On ne peut pas mettre un fauteuil roulant dans une caravane, enfin si, mais on ne peut plus sortir de sa caravane, on ne peut pas rouler non plus. On ne peut pas mettre un lit médicalisé dans une caravane, ni adapter les sanitaires.

Pour répondre à toutes ces problématiques, la solution la plus adaptée est le mobil-home, qui est totalement aménageable pour permettre aux voyageurs en mobilité réduite d’être autonome ou de recevoir des soins. Problème, le mobil-home est interdit par le règlement des aires d’accueil car il n’est pas considéré comme un véhicule de passage. Ça vous paraît absurde ? C’est normal.

Nous avons même eu le cas à l’ADGVC44 où on a réussi à faire installer un mobil-home sur une aire pour un couple dont le mari était en fin de vie, il avait besoin d’un lit médicalisé. Lorsque le mari est décédé, il a été demandé à sa veuve de retirer le mobil-home… No comment.

Il est crucial que les aires d’accueil évoluent elles aussi et que leurs règlements soient repensés, ré-humanisés, et qu’il inclue les mobil-home.

Elles ne se sont pas adaptées à l’activité professionnelle des voyageurs

Sur une aire d’accueil, on ne peut pas stocker son matériel professionnel, c’est un vrai problème. Contrairement à un logement standard, les aires d’accueil ne proposent pas de garages ou de caves pour le stockage. L’emplacement pour leur caravane n’est pas suffisant, l’espace alloué (en plus de la promiscuité) est très restreint.

La question de l’articulation entre les aires d’accueil et l’activité économique des voyageurs est cruciale.Il faudrait que l’on puisse proposer aux voyageurs un endroit sécurisé pour qu’il puisse stocker leur matériel, comme un parking attenant où ils pourraient mettre un box ou une remorque par exemple

Il est nécessaire de repenser en amont les aires d’accueil en prenant en compte la réalité du travail des gens du voyage et en leur offrant des solutions concrètes pour concilier vie professionnelle et vie quotidienne.

Elles renforcent la mise à l’écart des voyageurs du reste de la société

On assiste à une “ghettoïsation” des voyageurs qui empêche toute mixité sociale. Personne ne connaît vraiment les gens du voyage autrement qu’à travers les faits divers rapportés par les médias qui renforcent la stigmatisation et la méfiance à leur égard, ou la musique de Django Reinhardt, seul stéréotype positif.

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Aire d’accueil de Bouguenais, à une centaine de mètres de la piste d’atterrissage de l’aéroport Nantes Atlantique – Google Earth Studio

Combien coûte une place en aire d’accueil ?

Contrairement aux idées reçues, les aires d’accueil ne sont pas gratuites. Une place pour une caravane coûte entre 400 et 500 € par mois, plus une caution.

La vie sur une aire est chère

L’isolement des aires pèse énormément sur le budget des familles : pour faire ses courses, aller chez le médecin, emmener les enfants à l’école… Les voyageurs sont obligés d’avoir un véhicule voire deux : leur budget essence explose.

Aucune aide ne peut être perçue pour une place en aire d’accueil

Le coût de la place, le coût de l’électricité, de l’eau, les crédits sur les caravanes et les assurances… Aucune aide ne peut être perçue pour toutes ces dépenses liées à l’habitat, contrairement au reste de la population. Pourquoi ? Parce que la caravane est considérée comme un véhicule et non comme un logement.

Sauf en Loire-Atlantique où l’ADGVC44 à réussi à faire débloquer le Fond Solidarité Logement pour les familles en difficulté, mais ça reste une exception nationale.

Beaucoup d’aires d’accueil en France comportent un seul bloc sanitaire (douche / WC)

L’association a réussi à faire évoluer la situation sanitaire des aires d’accueil en Loire Atlantique : à part deux d’entre elles, chaque emplacement possède désormais son bloc sanitaire, ainsi que le chauffage dans les douches. Les douches en béton véhiculèrent la gale et les champignons, elles ont été carrelées pour résoudre ce problème d’hygiène. Les toilettes à la turque ont également été remplacées par des toilettes normales.

La Loire Atlantique (44) est d’ailleurs devenue un exemple national pour ses aires d’accueil : nombres, hygiènes et services.

Même sur une aire d’accueil, le voyageur est tout de même considéré comme un sans domicile fixe…

Une aire d’accueil est conçue pour les gens de passage, il n’était pas prévu au départ qu’elle serve d’adresse. Les voyageurs n’ont pas de justificatifs de domicile comme une quittance EDF, etc., ce qui rend leurs démarches administratives ou bancaires très difficiles au quotidien. Ils sont directement identifiés comme gens du voyage auprès des banques ou des employeurs, ce qui peut mener à des discriminations.

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« Leurs poumons, c’est du béton » — © Streetpress.com

Généralement, on ne peut pas occuper une place en aire d’accueil plus de 3 mois

Difficile de scolariser ses enfants et de trouver un CDI quand on est obligé de déménager tous les 3 mois…

Dans les faits, les familles y restent plus longtemps car elles n’ont pas d’autres endroits où aller…

Lorsqu’on vit en caravane, on ne peut pas habiter n’importe où : ni dans un camping, ni sur un terrain privé, ni sur la voie publique, ni même sur un parking. Autrement dit, s’ils ne vivent pas sur une aire d’accueil, ils sont dans l’illégalité. Donc ils y restent plus longtemps.

Les gens du voyage sont des citoyens français qui, culturellement, vivent en caravane depuis toujours

Depuis toujours, la culture c’est le voyage. Historiquement, les voyageurs étaient forains, artistes, musiciens, travaillant dans les cirques, sur les marchés ou travailleurs saisonniers… En carrioles, roulottes et depuis peu en caravanes. Pourquoi les obliger à changer leur identité ?